lundi 1 mars 2010

Exposition George Grosz, Académie des Arts de Berlin




„George Grosz, Korrekt und anarchisch“
Akademie der Künste, Pariser Platz 4, Mitte
Jusqu’au 5 avril 2010




« Georg Grosz, Correct et anarchiste ». Drôle de titre pour une exposition. Comment peut-on être à la fois correct ET anarchiste? C’est pourtant bien le titre de la rétrospective consacrée à l’œuvre de Georges Grosz et présentée à l’Académie des Arts (Akademie der Künste) de Berlin jusqu’au 5 avril 2010.

Le spectateur découvre un large choix de dessins à l’encre, d’aquarelles et de collages sortis pour l’occasion des collections du musée. En complément des œuvres sont également présentées des photographies personnelles de George Grosz et de son entourage et des objets comme des cartes postales issues de la collection personnelle de l’artiste. Les panneaux d’expositions mêlent savamment ces différentes matériaux et nous permettent ainsi de plonger au mieux dans l’univers de l’artiste.
L’originalité de l’œuvre de George Grosz tient à ce regard critique qu’il porta très tôt sur la société de son époque. Ainsi, la série intitulée Le bête allemand Michel ( Der dumme deutsche Michel, 1908) montre bien le plaisir de Grosz à tourner en ridicule les travers d’un patriotisme qui mènera l’Europe au chaos. Alors encore étudiant à l’Ecole des Beaux-Arts de Berlin (1912), les dessins de jeunesse révèlent un intérêt particulier pour les mimiques et les détails des costumes de l’époque. Le bourgeois est ainsi déjà reconnaissable : il porte un complet impeccable assortie d’une canne et fume le cigare, privilège suprême réservé au riche. Mais Grosz n’est pas un dessinateur de mode et ces attributs sont avant tout un moyen pour l’artiste de désigner une classe, une attitude gonflée d’orgueil par un portefeuille plein à craquer. Alors membre du Parti Communiste allemand (KPD), il organise avec John Heartfield et Raoul Haussmann la première Foire Dada Internationale à Berlin en 1920. Le groupe Dada Berlin, dont les acteurs ont pour la plupart participé à la Révolution spartakiste de 1918, se distingue très tôt des autres centres dadaïstes (Paris, Cologne, New-York) par son engagement politique fort.
Alors que John Hearfield excelle dans le photomontage politique pur et que la démarche de Raoul Haussmann se situe dans une voie plus artistique (nombre de ses photomontages sont imprégnés de l’univers métaphysique de Chirico), Grosz montre un intérêt marqué pour la technique du dessin, qu’il colore à l’aquarelle et agrémente de fragments photographiques . Cette proximité toujours très forte de l’artiste avec l’actualité directe est particulièrement frappante dans ces couvertures de journaux réalisées pour le mensuel Die Pleite (Le fauché), fondé en 1919. La couverture du mois de janvier 1920 intitulée „ Le Capital et le militaire se souhaitent une nouvelle année bénie » (« Kapital und Militär wünschen sich « Ein gesegnetes Neues Jahr ») donne à voir deux pendus, un bourgeois de type riche industriel et un militaire bardé de médailles se serrant la main. Unis jusqu’à la mort.


Quelques numéros plus tard. La couverture de Die Pleite du mois de décembre 1923 représente un sapin de Noël façon George Grosz. Le sapin de Nöel du peuple allemand (Der Weihnachtsbaum für deutsche Volk) est un arbre funèbre décoré de matraques, de chaînes, de casques de soldats et surmonté d’une étoile en forme de croix nazie. Au pied du sapin trônent de drôle de cadeaux comme un tank de guerre. Dans les branches sont suspendues des affiches annonçant : « Interdiction du K.P.D » ou « Arrestation ».
Arrive 1933. Brusquement, le climat politique anxiogène devient menace réelle pour les artistes. Les nazis déclarent la guerre à l’art moderne qu’ils surnomment « art dégénéré ». La fermeture de l’école du Bauhaus révèle à elle seule l’impossibilité pour les artistes de l’avant-garde de poursuivre leur travail. Grosz choisit l’exil et quitte l’Europe, direction l’Amérique. Un voyage qui fait l’objet d’un travail photographique inédit pour l’artiste, qui acquiert un appareil photo spécialement pour l’occasion. Les clichés pris par l’artiste de ces femmes et hommes accoudés à la rambarde du paquebot, guettant l’horizon rêvé au loin, sont imprégnés de cet espoir maintes fois décrit.
New York, la 5e Avenue et le Rochester Center qui impose sa modernité architecturale au regard du passant. L’Armory Show de 1913 avait lancé le signal : New York supplante ainsi Paris et Berlin et devient la capitale de l’art moderne. L’activité urbaine incessante qui règne dans la ville fascine l’artiste nommé professeur à l’Académie des Arts de New-York. Il réalise encore de nouveaux collages. Il obtient la nationalité américaine en 1938. Mort à Venise est un des derniers collages réalisé par l’artiste avant sa mort. De nationalité américaine depuis 1938, c’est pourtant à Berlin que Grosz retourne en 1959, où il meurt le 10 juillet.
« George Grosz, correct et anarchiste ». En guise de réponse à ce drôle de titre d’exposition, signalons que l’adjectif « korrekt » signifie également en allemand « juste ». Peut-être que l’explication à un tel titre d’exposition se trouve ici. Car si le regard que George Grosz porte sur son époque et ses travers est bel et bien empreint d’idées anarchiste, c’est également un regard sincère et juste marqué par un souci réel quant au devenir de l’homme. Un petit oui et un grand non, tel est le titre que l’artiste donna à son autobiographie. Ou comment l’art peut être aussi et surtout un outil contre la bêtise universelle.

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