lundi 21 décembre 2009

Honecker 21



" Bourré de saucisses et de vin chaud, Noël enfla puis creva."

Jean-Yves Cendrey nous offre avec Honecker 21 plus qu'un roman porté par un humour destructeur. Le texte est une bête qui rue dans les brancards, se débat, une monture qui se cabre. En cette période de fêtes, le festin est total : amer, corrosif, un ton ironique à souhait, chaque situation dépeinte plonge le lecteur dans un plaisir gourmand. Un boss infect, une femme insatisfaite, une voiture qui lui fait honte, jusqu'à une dentiste qui le maltraite, les êtres passent sur Honecker et l'écrasent, il est parfaitement victime d'une vie qui le malmène. Et pourtant, le texte est savoureux. Pas d'apitoiement sur le pauvre Honecker mais un ton parfaitement berlinois, cette ironie, ce regard en biais qui fait de chaque faux drame une mauvaise farce de la vie. A lire absolument, de préférence dans le Ring-Bahn.

Jean-Yves Cendrey, Honecker 21, Actes Sud, Août 2009, 222 pages

vendredi 18 décembre 2009

Jakob Tigges et La Montagne Magique






Janvier 2009, un concours est lancé, un appel à sauver Tempelhof de l'abandon dans lequel les années l'ont plongées. Fini le temps du pont aérien, l'âge de gloire du terrain gigantesque est définitivement loin, perdu dans les vapes brumeuses du passé. Il ne reste que l'espace, démesurément grand, l'espace des possibles. Les équipes d'architectes, paysagistes, urbanistes se précipitent, vite il faut imaginer quelque chose pour Tempelhof, un projet rentable qui fera de Berlin une ville concurrentielle, dynamique et opérationnelle. Il y aura des gagnants, des récompenses, pour ceux qui auront su comprendre l'appel économique à rentabiliser lancé par la ville.
Mais il y aura aussi, au cœur de cette mêlée de projets celui de Jakob Tigges, un projet utopique destiné dès son départ à rester irréalisé, une célébration de la créativité, du pouvoir possible de l'imagination en même temps qu'une critique sarcastique des projets contre-nature érigés à Abhu Dabi, qui, à force de vouloir défier la nature, la détruisent.
Jakob Tigges propose une montagne à la place de Tempelhof. Au-delà des images superbes qu'il nous offre, réalisées avec l'aide d'étudiants de la Technische Universität de Berlin (TU), il célèbre l'image d'une ville où les idées jaillissent, une ville stimulatrice de talents, où les idées artistiques les plus innovatrices se forment. Berlin n'a pas besoin de nouveaux logements, ni de bureaux réalisés selon les nouvelles normes écologiques, non, Berlin a besoin avant tout de conserver son caractère unique de ville ouverte aux tendances. Berlin ne doit pas se plier aux modèles existants mais conserver le sien, et dont les "Freie Raüme", les espaces libres, en sont les plus beaux exemples.
Jakob Tigges accorde aujourd'hui des interviews à des journalistes étrangers, chiliens ou chinois. Le monde entier s'est ainsi tourné vers Berlin et ses possibles, et cette reconnaissance de la créativité est sans doute la plus grande réussite de l'entreprise.

Jonathan Meese








Jeudi soir, la neige tombe à petits flocons timides sur Berlin, le S-Bahn est plein à craquer de passants encombrés par les achats de Nöel, des sacs, des cabas, des paquets qui débordent des wagons aux arrêts du train. Hackecher Markt, le centre de Mitte bouillonne, les magasins déversent sur le pavé les derniers acheteurs, il est temps de fermer boutique. Dans la cour d'un immeuble de la Sophienstrasse, entrée Porte C, il faut sonner, s'annoncer, entendre dire : " 3e étage, première porte à gauche".
Au dernier étage, une salle immense parsemée de sièges Mies van der Rohe, des murs recouverts d'œuvres d'art, toiles sur-dimensionnées aux couleurs criardes, une sculpture en métal déborde et attaque l'espace du regard, pénètre vivement dans la rétine. Les derniers arrivants s'installent, le feu brûle dans la cheminée. L'arène est fin prête, la tauromachie va pouvoir commencer.
Jonathan Meese annonce : " Le manifeste que vous tenez entre les mains n'est pas celui que je vais lire". Une farce, cette mise en scène, ce décor est une comédie, rien ne compte plus que l'art, l'art est la vie, et dissout tout ce qui nous entoure, qui n'est qu'artifice, mensonge, bouffonnerie. Poussant la dérision plus loin, Jonathan revêt des lunettes noires, la tragédie sera totale. L'intervention est performance, le corps de l'artiste vibre, rayonne, lorsqu'il proclame un à un les points de son manifeste, qui débutent à chaque fois par un tonitruant :
" Dans l'espace total de l'art ..." Résumons, pèle-mêle : la culture est un programme émanant de l'Etat, l'art est autre, l'art et non l'artiste est génie, le beau est ce que l'on n'apprend pas, par exemple, un cri d'enfant, l'art est le seul parti du futur. La révolution ne viendra pas de la rue mais de la scène des choses, "Die Bühne die Sachen".
Le public trépigne, refuse la vision d'un monde sans argent, sans parti politique, où la créativité de chacun soit la seule valeur constructive, et non spéculative. Les rires sarcastiques suivent les questions provocatrices des spectateurs mécontents, contrariés. Éternel combat de l'avant-garde incomprise?
"Demandons à la liberté ce qu'elle est" conclut l'artiste, avant de se retirer de la scène.

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