mercredi 19 mai 2010

Megalopolis



"Megalopolis" de Constanza Macras
Schaubühne am Lehniner Platz
Kurfüstendamm 153 10709 Berlin



Janvier dernier. Metropolis, le magazine culturel de la chaine franco-allemande Arte, présente en des termes si enthousiastes le spectacle de danse « Mégalopolis » programmé à la Schaubühne de Berlin, que toutes les représentations affichent presque aussitôt complet.

A nouveau annoncé dans le programme de mars, il n’était pas question cette fois-ci de rater l’événement. Présentée comme une réflexion sur la difficulté de vivre dans les grandes villes, ces Mégalopolis, cette pièce de théâtre aux allures de cabaret moderne jouée par des comédiens aux talents de danseurs, promettait beaucoup.
« Les grandes villes sont le paradigme des lieux où les hommes vivent ensemble sans se connaître. » écrit Constanza Macras, la metteur en scène et chorégraphe.
L’anonymat qui règne dans les grandes villes est depuis longtemps établi. Les avant-gardes du début du XXe siècle en ont fait leur thème de prédilection, en particulier les artistes expressionnistes allemands qui nous livrèrent, de Kirchner à Fritz Lang, de sublimes visions apocalyptiques d’espaces urbains menaçants, assourdissants.
L’on attendait d’une pièce telle que « Mégalopolis » un regard nouveau porté sur la ville. Rien de tel. Pendant deux heures, interminables, les comédiens s’agitent comme des pantins, leurs cris perçants malmènent les oreilles du spectateur, gêné par tant de boucan inutile. Constanza Macras a certainement voulu montrer ainsi que les grandes villes étaient des espaces d’une extrême violence, physique mais aussi et surtout psychologique. Certes, la ville est une jungle, mais les comédiens méritent d’être dirigés autrement que comme des animaux.
Une présence, discrète et pourtant si gracieuse, rattrape tant bien que mal le piètre jeu de certains comédiens (mention spéciale contre Roni Maciel, insupportable dans son rôle de play-boy en slip kangourou), celle de la violoniste Kristina Lösche-Löwensen, à gauche de la scène, accompagnée d’un faux prêtre à la guitare électrique et d’une batteuse, qui envoute la salle dans les trop rares moments de solo.


Si l’intention de « Megalopolis » est brave, la communion entre le public et l’espace scénique n’aura pas lieu. Chaque citadin a pu un jour ressentir ces sentiments de colère contenue et refoulée, ou cette profonde solitude qui parfois nous pénètrent en des jours difficiles. Mais la pièce, si elle frôle parfois son but, ne l’atteint jamais, et les spectateurs qui espéraient que le spectacle ouvrirait de nouvelles pistes sur ce thème pourtant si riche, ressortent déçus.

lundi 1 mars 2010

Exposition George Grosz, Académie des Arts de Berlin




„George Grosz, Korrekt und anarchisch“
Akademie der Künste, Pariser Platz 4, Mitte
Jusqu’au 5 avril 2010




« Georg Grosz, Correct et anarchiste ». Drôle de titre pour une exposition. Comment peut-on être à la fois correct ET anarchiste? C’est pourtant bien le titre de la rétrospective consacrée à l’œuvre de Georges Grosz et présentée à l’Académie des Arts (Akademie der Künste) de Berlin jusqu’au 5 avril 2010.

Le spectateur découvre un large choix de dessins à l’encre, d’aquarelles et de collages sortis pour l’occasion des collections du musée. En complément des œuvres sont également présentées des photographies personnelles de George Grosz et de son entourage et des objets comme des cartes postales issues de la collection personnelle de l’artiste. Les panneaux d’expositions mêlent savamment ces différentes matériaux et nous permettent ainsi de plonger au mieux dans l’univers de l’artiste.
L’originalité de l’œuvre de George Grosz tient à ce regard critique qu’il porta très tôt sur la société de son époque. Ainsi, la série intitulée Le bête allemand Michel ( Der dumme deutsche Michel, 1908) montre bien le plaisir de Grosz à tourner en ridicule les travers d’un patriotisme qui mènera l’Europe au chaos. Alors encore étudiant à l’Ecole des Beaux-Arts de Berlin (1912), les dessins de jeunesse révèlent un intérêt particulier pour les mimiques et les détails des costumes de l’époque. Le bourgeois est ainsi déjà reconnaissable : il porte un complet impeccable assortie d’une canne et fume le cigare, privilège suprême réservé au riche. Mais Grosz n’est pas un dessinateur de mode et ces attributs sont avant tout un moyen pour l’artiste de désigner une classe, une attitude gonflée d’orgueil par un portefeuille plein à craquer. Alors membre du Parti Communiste allemand (KPD), il organise avec John Heartfield et Raoul Haussmann la première Foire Dada Internationale à Berlin en 1920. Le groupe Dada Berlin, dont les acteurs ont pour la plupart participé à la Révolution spartakiste de 1918, se distingue très tôt des autres centres dadaïstes (Paris, Cologne, New-York) par son engagement politique fort.
Alors que John Hearfield excelle dans le photomontage politique pur et que la démarche de Raoul Haussmann se situe dans une voie plus artistique (nombre de ses photomontages sont imprégnés de l’univers métaphysique de Chirico), Grosz montre un intérêt marqué pour la technique du dessin, qu’il colore à l’aquarelle et agrémente de fragments photographiques . Cette proximité toujours très forte de l’artiste avec l’actualité directe est particulièrement frappante dans ces couvertures de journaux réalisées pour le mensuel Die Pleite (Le fauché), fondé en 1919. La couverture du mois de janvier 1920 intitulée „ Le Capital et le militaire se souhaitent une nouvelle année bénie » (« Kapital und Militär wünschen sich « Ein gesegnetes Neues Jahr ») donne à voir deux pendus, un bourgeois de type riche industriel et un militaire bardé de médailles se serrant la main. Unis jusqu’à la mort.


Quelques numéros plus tard. La couverture de Die Pleite du mois de décembre 1923 représente un sapin de Noël façon George Grosz. Le sapin de Nöel du peuple allemand (Der Weihnachtsbaum für deutsche Volk) est un arbre funèbre décoré de matraques, de chaînes, de casques de soldats et surmonté d’une étoile en forme de croix nazie. Au pied du sapin trônent de drôle de cadeaux comme un tank de guerre. Dans les branches sont suspendues des affiches annonçant : « Interdiction du K.P.D » ou « Arrestation ».
Arrive 1933. Brusquement, le climat politique anxiogène devient menace réelle pour les artistes. Les nazis déclarent la guerre à l’art moderne qu’ils surnomment « art dégénéré ». La fermeture de l’école du Bauhaus révèle à elle seule l’impossibilité pour les artistes de l’avant-garde de poursuivre leur travail. Grosz choisit l’exil et quitte l’Europe, direction l’Amérique. Un voyage qui fait l’objet d’un travail photographique inédit pour l’artiste, qui acquiert un appareil photo spécialement pour l’occasion. Les clichés pris par l’artiste de ces femmes et hommes accoudés à la rambarde du paquebot, guettant l’horizon rêvé au loin, sont imprégnés de cet espoir maintes fois décrit.
New York, la 5e Avenue et le Rochester Center qui impose sa modernité architecturale au regard du passant. L’Armory Show de 1913 avait lancé le signal : New York supplante ainsi Paris et Berlin et devient la capitale de l’art moderne. L’activité urbaine incessante qui règne dans la ville fascine l’artiste nommé professeur à l’Académie des Arts de New-York. Il réalise encore de nouveaux collages. Il obtient la nationalité américaine en 1938. Mort à Venise est un des derniers collages réalisé par l’artiste avant sa mort. De nationalité américaine depuis 1938, c’est pourtant à Berlin que Grosz retourne en 1959, où il meurt le 10 juillet.
« George Grosz, correct et anarchiste ». En guise de réponse à ce drôle de titre d’exposition, signalons que l’adjectif « korrekt » signifie également en allemand « juste ». Peut-être que l’explication à un tel titre d’exposition se trouve ici. Car si le regard que George Grosz porte sur son époque et ses travers est bel et bien empreint d’idées anarchiste, c’est également un regard sincère et juste marqué par un souci réel quant au devenir de l’homme. Un petit oui et un grand non, tel est le titre que l’artiste donna à son autobiographie. Ou comment l’art peut être aussi et surtout un outil contre la bêtise universelle.

jeudi 4 février 2010

Du Sublime dans l'air



Galerie Sprüth Magers Berlin
Oranienburger Strasse 18 BERLIN
Exposition jusqu'au 1er avril 2010



Michail Pirgelis, Akropolis

Des débris d’avion. A priori, cela pourrait s’agir de ces images diffusées en nombre illimité ces derniers mois dans les journaux. Tragédies. Les drames de ces corps en morceaux mêlés aux pièces des machines explosées en plein vol, le rêve d’Icare à jamais détruit.
Non, ces fragments d’avion sont lisses, beaux, et brillent sous la lumière naturelle des étages de la galerie Sprüth Magers. Des sculptures gigantesques et abstraites qui parfois s’entrouvrent. On hésite à entrer dans les œuvres. Le texte écrit par la galerie parle de « ready-made » mais le terme paraît un peu daté. Nous parlerons plutôt de sculptures sublimes.
Ces objets sont dotés d’une véritable présence. Et à partir de cette beauté visuelle indéniable nous sommes invités à voyager dans le Temps. L’Histoire est ainsi convoquée. Des images nous reviennent. L’aviation et ses débuts enthousiastes aux alentours de 1900 puis l’Exposition Internationale de 1937 (Paris) qui célébrait la parfaite alliance de l’art et de la technique.
Depuis cet âge d’or est apparue la peur contemporaine du crash et de l’attentat terroriste. Comme incontrôlable, elle s’interpose dans le regard que nous portons sur ces œuvres. Les statistiques actuelles nous informent que 10 % des voyageurs ont peur en avion et que 30 % des personnes sont anxieuses ou terrorisées pendant un voyage. Michail Pirgelis joue avec cette crainte commune qui nous traverse tous.

Et crée du sublime. Le sublime est un concept philosophique et artistique qui définit une parfaite alliance de beauté et d’effroi conjugués ensemble dans une œuvre. Pirgelis renoue avec la pensée kantienne qui oppose le beau comme esthétique de la mesure au sublime comme esthétique de la démesure car ces œuvres nous surpassent avec leurs spectaculaires miroirs lisses dans lesquels notre image se reflète. Nos corps deviennent des portraits en pied déformés par l’ horizontalité vertigineuse des pièces.
Du Sublime encore, s’il l’on s’en réfère au théoricien anglais du XIXe siècle Edmund Burke, qui écrit :
« Tout ce qui est propre à susciter d’une manière quelconque les idées de douleur et de danger,c’est-à-dire tout ce qui est d’une certaine manière terrible, tout ce qui traite d’objets terribles
ou agit de façon analogue à la terreur, est source de sublime, c’est-à-dire capable de produire la plus forte émotion que l’esprit soit capable de ressentir.»

La plus fort émotion artistique serait donc celle qui capte les angoisses contemporaines et les transforme en expression plastique et palpable. Clouées au mur ou trônant fièrement au cœur d’une pièce, ces morceaux d’angoisse nous rappellent que si l’homme n’est pas immortel, l’art tend à le devenir.

mardi 26 janvier 2010

Leila Garfield, Warum Berlin?






Début janvier 2009. La neige qui tombe depuis des semaines sur Berlin s’est figée en une couche de glace de plusieurs centimètres d’épaisseur et les trottoirs glissants de la ville sont devenus de vraies patinoires. Un café à la sortie du métro Ostkreuz, un point parmi tant d’autres dans la vaste capitale. Au-delà du quai du S-Bahn, l’horizon s’étend à perte de vue dans une lumière crépusculaire. Rencontre avec la photographe Leila Garfield.
Les chiffres du recensement déclarent à Berlin 3 millions et demi d’habitants, dont 430 000 étrangers. On ne le dira jamais assez : Berlin est une ville internationale et attractive qui accueille encore et toujours de nouveaux arrivants. Mais « Pourquoi Berlin » ? Leila Garfield, photographe française alternant depuis maintenant plus de cinq ans les séjours entre Paris et Berlin, a posé la question à des berlinois d’origine et d’adoption. Pour chacun, un portrait Noir et Blanc sur fond neutre, suivi d’un texte, écrit par chaque modèle, puis un portrait en pied dans une pièce de leur appartement. Des chambres, des cuisines, des salons, un toit même, les berlinois nous ouvrent leur porte et racontent, en quelques mots, parfois quelques phrases, l’histoire de leur arrivée à Berlin. Et nous voilà plongés dans le kaléidoscope berlinois.
Une atmosphère particulière se dégage du livre. Leila soulève le voile de l’intime, pénètre dans les intérieurs de chacun tout en douceur, laissant les regards s’exprimer intensément, comme pour mieux se raconter. Les images de Leila Garfield évoquent un documentaire de l’intime. La photographie est le medium d’un échange entre le photographe et l’objet photographié. Deux étapes se succèdent, un premier acquiescement suivi d’un don mutuel. Les textes, des « dons » également, amusent, émeuvent, touchent, deviennent de véritables ponts de parole entre le lecteur et le livre et font entendre la voix, romantique, perdue ou en colère, des figures. Un dialogue s’installe à présent entre le livre et son lecteur. Progressivement, nous sommes nous aussi portés à nous interroger sur notre place, là où nous vivons. Quelles raisons m’ont porté là où je vis ? Quel sens emprunte mon chemin ici ?
Leila admet elle-même que Berlin est une ville difficile, et la première rencontre qu’elle fit avec la ville ne présageait rien de bon. Lors d’un voyage scolaire organisé par son lycée, elle se casse une jambe dès le premier jour. Privée de Berlin avant même d’avoir pu rencontrer la ville, l’évocation d’une semaine coincée à l’hôtel avec le professeur de mathématiques reste pénible. Un premier souvenir de la ville morose donc. Quelques années plus tard, c’est cependant à Berlin qu’elle choisit de passer une année Erasmus pendant ses études de cinéma. La voici donc étudiante à l’Udk (« Universität der Künste » : « Université des Arts »), moment qui signe pour elle un rapprochement avec la photographie. Immersion dans la vie berlinoise et son air cosmopolite. Puis, à la fin de l’année 2005, un projet de fin d’études naît. Celui-ci prend la forme d’un livre d’artiste axé sur le thème de la perception du mot culture par différents artistes de l’Udk, portraits et objets choisis par les modèles à l’appui. Un travail couronné de succès et qui annonce curieusement Warum Berlin ? . Des travaux en Russie (Série « Russia »), à Berlin (« Body Langage », « Everyday »), au festival d’Avignon (« Backstage ») suivent. Des expositions aussi, comme à Paris aux Ateliers d’Artistes de Belleville en mai 2009 ou à la galerie Ida Nowhere à Berlin. Elle est également représentée par la galerie L’œil Ouvert (Paris) depuis 2008.
Parallèlement à cette activité parisienne nait Warum Berlin, réalisé en deux moments, d’abord en février 2008 pour la préparation du projet puis en avril 2009. Un travail entièrement réalisé par l’artiste jusque dans l’impression du volume, et partiellement financé par l’Ofaj (Office Franco-allemand pour la Jeunesse). Une implication totale dans le projet donc, qui participe également au caractère extrêmement généreux de l’œuvre. Des 100 exemplaires réalisés, il n’en reste que très peu, sinon plus.
Et un « Pourquoi Paris ? ». « Sans doute plus compliqué, surtout au niveau technique, car les espaces privés sont tellement plus petits à Paris » répond l’artiste. L’objet appelle irrésistiblement à une suite sur le même principe et le concept d’une série « Pourquoi Berlin, Paris, New York, Dijon » amuse l’artiste. Comme autant de courts voyages, un vol plané au-dessus des âmes citadines. Et l’on attend avec impatience un deuxième tirage, et un nouveau volume.

lundi 21 décembre 2009

Honecker 21



" Bourré de saucisses et de vin chaud, Noël enfla puis creva."

Jean-Yves Cendrey nous offre avec Honecker 21 plus qu'un roman porté par un humour destructeur. Le texte est une bête qui rue dans les brancards, se débat, une monture qui se cabre. En cette période de fêtes, le festin est total : amer, corrosif, un ton ironique à souhait, chaque situation dépeinte plonge le lecteur dans un plaisir gourmand. Un boss infect, une femme insatisfaite, une voiture qui lui fait honte, jusqu'à une dentiste qui le maltraite, les êtres passent sur Honecker et l'écrasent, il est parfaitement victime d'une vie qui le malmène. Et pourtant, le texte est savoureux. Pas d'apitoiement sur le pauvre Honecker mais un ton parfaitement berlinois, cette ironie, ce regard en biais qui fait de chaque faux drame une mauvaise farce de la vie. A lire absolument, de préférence dans le Ring-Bahn.

Jean-Yves Cendrey, Honecker 21, Actes Sud, Août 2009, 222 pages

vendredi 18 décembre 2009

Jakob Tigges et La Montagne Magique






Janvier 2009, un concours est lancé, un appel à sauver Tempelhof de l'abandon dans lequel les années l'ont plongées. Fini le temps du pont aérien, l'âge de gloire du terrain gigantesque est définitivement loin, perdu dans les vapes brumeuses du passé. Il ne reste que l'espace, démesurément grand, l'espace des possibles. Les équipes d'architectes, paysagistes, urbanistes se précipitent, vite il faut imaginer quelque chose pour Tempelhof, un projet rentable qui fera de Berlin une ville concurrentielle, dynamique et opérationnelle. Il y aura des gagnants, des récompenses, pour ceux qui auront su comprendre l'appel économique à rentabiliser lancé par la ville.
Mais il y aura aussi, au cœur de cette mêlée de projets celui de Jakob Tigges, un projet utopique destiné dès son départ à rester irréalisé, une célébration de la créativité, du pouvoir possible de l'imagination en même temps qu'une critique sarcastique des projets contre-nature érigés à Abhu Dabi, qui, à force de vouloir défier la nature, la détruisent.
Jakob Tigges propose une montagne à la place de Tempelhof. Au-delà des images superbes qu'il nous offre, réalisées avec l'aide d'étudiants de la Technische Universität de Berlin (TU), il célèbre l'image d'une ville où les idées jaillissent, une ville stimulatrice de talents, où les idées artistiques les plus innovatrices se forment. Berlin n'a pas besoin de nouveaux logements, ni de bureaux réalisés selon les nouvelles normes écologiques, non, Berlin a besoin avant tout de conserver son caractère unique de ville ouverte aux tendances. Berlin ne doit pas se plier aux modèles existants mais conserver le sien, et dont les "Freie Raüme", les espaces libres, en sont les plus beaux exemples.
Jakob Tigges accorde aujourd'hui des interviews à des journalistes étrangers, chiliens ou chinois. Le monde entier s'est ainsi tourné vers Berlin et ses possibles, et cette reconnaissance de la créativité est sans doute la plus grande réussite de l'entreprise.

Jonathan Meese








Jeudi soir, la neige tombe à petits flocons timides sur Berlin, le S-Bahn est plein à craquer de passants encombrés par les achats de Nöel, des sacs, des cabas, des paquets qui débordent des wagons aux arrêts du train. Hackecher Markt, le centre de Mitte bouillonne, les magasins déversent sur le pavé les derniers acheteurs, il est temps de fermer boutique. Dans la cour d'un immeuble de la Sophienstrasse, entrée Porte C, il faut sonner, s'annoncer, entendre dire : " 3e étage, première porte à gauche".
Au dernier étage, une salle immense parsemée de sièges Mies van der Rohe, des murs recouverts d'œuvres d'art, toiles sur-dimensionnées aux couleurs criardes, une sculpture en métal déborde et attaque l'espace du regard, pénètre vivement dans la rétine. Les derniers arrivants s'installent, le feu brûle dans la cheminée. L'arène est fin prête, la tauromachie va pouvoir commencer.
Jonathan Meese annonce : " Le manifeste que vous tenez entre les mains n'est pas celui que je vais lire". Une farce, cette mise en scène, ce décor est une comédie, rien ne compte plus que l'art, l'art est la vie, et dissout tout ce qui nous entoure, qui n'est qu'artifice, mensonge, bouffonnerie. Poussant la dérision plus loin, Jonathan revêt des lunettes noires, la tragédie sera totale. L'intervention est performance, le corps de l'artiste vibre, rayonne, lorsqu'il proclame un à un les points de son manifeste, qui débutent à chaque fois par un tonitruant :
" Dans l'espace total de l'art ..." Résumons, pèle-mêle : la culture est un programme émanant de l'Etat, l'art est autre, l'art et non l'artiste est génie, le beau est ce que l'on n'apprend pas, par exemple, un cri d'enfant, l'art est le seul parti du futur. La révolution ne viendra pas de la rue mais de la scène des choses, "Die Bühne die Sachen".
Le public trépigne, refuse la vision d'un monde sans argent, sans parti politique, où la créativité de chacun soit la seule valeur constructive, et non spéculative. Les rires sarcastiques suivent les questions provocatrices des spectateurs mécontents, contrariés. Éternel combat de l'avant-garde incomprise?
"Demandons à la liberté ce qu'elle est" conclut l'artiste, avant de se retirer de la scène.

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